Vous vous placez dans la file d'attente, face au guichet. Et, conséquemment, vous attendez. Vous attendez votre tour, votre billet, votre monnaie. Vous attendez pour payer votre journal. Vous attendez votre café.

Hier encore, vous l'attendiez au TGV de onze heures. Vous l'attendiez avec une fleur, avec une pancarte « Congrès des notaires », avec un sourire, avec impatience. Aujourd'hui vous attendez, nez en l'air, l'œil rivé au tableau d'affichage. Vous attendez votre train, vous attendez votre voie. Vous attendez comme si le monde en dépendait, et pourtant il vous reste du temps. Pour attendre.

Et vous attendez, assis, le départ du train. Votre portable à l'oreille ou les yeux plongés dans Nord Éclair. Vos baskets sur la banquette ou votre veste de costard accrochée à cette patère de première classe. La classe ?

Demain, vous attendrez. La gare est taillée pour l'attente.

Peut-être n'attendrez-vous rien. Sans travail, sans domicile qui sait ? Peut-être attendrez-vous une pièce, la tombée de la nuit, le lendemain. Vous attendrez alors, au comptoir de la brasserie. Assis sous le panneau d'affichage. Assis au bout d'un quai.

Vous regarderez passer les gens, cheminots, contrôleurs, voyageurs. Tous ces gens qui ne vous voient pas, vous. Vous qui ne voyiez pas, hier, les gens qui n'attendent rien.

Matthieu Crocq


[ Photo ]

La complainte
du voyageur pressé

 

[ Real audio ]
Le chant du billet

 

Paris-Lille :
Le RER des hommes pressés

La complainte du voyageur pressé

Slalomer d'un pas alerte. Vite.
Pressé - par habitude.
Vite. Trouver un guichet.
Devant moi, la foule. Derrière moi, la foule.
Soupir. Il faut bien un billet. Alors, l'attente.

Le chemin jusqu'au guichet est parsemé d'embûches : lourdes valises, chiens assoiffés, marmaille énervée. L'inquiet scrute fébrilement sa montre et l'impatient bougonne. Les solitaires s'occupent. les amoureux s'embrassent. L'un est harnaché, l'autre est prêt à rester. Il est temps de tout dire. Les mots fuient, le temps manque. Pourtant, toujours l'attente.


Un jour son train viendra…

L'attente de l'étreinte l'atteint.
Hier encore il était là, à attendre ce train qui ne voulait pas arriver.
Il l'attend une fleur à la main. Une rose à 10 F.
Sous l'air blasé affleure la nervosité.
Mi-agité, mi-rêveur.
Au loin, un couple s'enlace, sans retenue, pressé par le temps et la foule. Mimétisme des retrouvailles.
Envieux, il se fait voyeur. Gêné, il allume une cigarette. Anxieux, il refait le pli de son pantalon.
Blasé, pressé. coupable, excité.
… amoureux.


[ Photo ]

Un quai pour un instant d'intimité


[ Photo ]
Qu’est-ce que j’peux faire ?

 

[ Real audio ]
Vous attendez qui, vous attendez quoi ?

« Qu'est-ce que j'peux faire ? J'sais pas quoi faire. »

Il lui a bien filé rencard, mais seule l'attente est au rendez-vous.
Le temps coule, s'écoule.
Il n'y a rien à faire dans une gare. Alors il attend. En gardant contenance.
En regardant les gens, en souriant, en rêvant, en pleurant.
En comptant les rainures sur le train d'à côté, en relisant vingt fois l'étiquette de sa bouteille d'eau.
En fumant, en lisant.
Puis vient l'angoisse : les poutres de la verrière sont-elles bien parallèles ?
Attendrissante attente. Nervosité patiente.
Partir, rester, téléphoner ? Il n'y a plus qu'à attendre.


Tout tapis

Il attend un regard, un sourire, une pièce - peut-être celui qui lui filera sa dose. Le chien veille. Le maître somnole, terré.
L'air hagard. Sa bière est presque vide. Gueule de bois ; gueule défoncée par les rides et le mauvais vin.
À ses pieds, un gobelet McDonald's. Quelques pièces - salaire de l'attente solitaire.

Dans la gare, le territoire de la misère est balisé : à chacun son poteau, sa place, son chien, son gobelet. 


[ Photo ]

Le territoire de la misère

 

Eve, serveuse dans l'« horreur des Flandres »

 

[ Real audio ]
Le paradis, l'enfer



[ Photo ]

En regardant les autres passer

 

Marceau qui traîne

 

Voyageurs sans bagages

 

« Le vent se lève / Il faut tenter de vivre »

(Paul Valéry)

Le temps passe.
Le temps ne fait que passer. Passer le temps jusqu'à demain. Parce que rien ne se passe. Durer.
Attendre jusqu'à la fermeture du bar, jusqu'à l'écœurement, jusqu'à la dernière pièce.
Juste en regardant les autres passer.
Prendre le temps, son temps. Lassitude mêlée de nostalgie.
Ressasser.
S'oublier dans l'attente, pour oublier le reste.

Catherine Petillon


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
http://hlm.ouvaton.org