Le Paris-Lille arrive en gare et Lille-Flandres se transforme en volière pour oiseaux à cravate

Texte et photo : Matthieu Crocq

 

 

 

 

Le quai, soudain, s'est rempli. Du TGV de 8 h 27 sort une nuée d'oiseaux à cravate. Peu de femmes, peu de jeunes, peu de vieux : chacun porte le costume et l'attaché-case. Le portable à l'oreille et le regard coupé du monde concourent à l'air soucieux du cadre opprimé par la nouvelle économie. Certains fument, rares. Des bribes de phrases surgissent ici et là. « J'appelle Chantal, je lui dis : j'attends des documents en urgence de Patrice… » « Notre directeur des affaires financières. — Monsieur le directeur… »

La nuée encravatée s'envole et, subitement, le quai est vide. Seuls restent cinq traînards, deux flics. Et deux pigeons, qui ont repéré les miettes de croissant tombées là. Le balayeur passe, vif comme l'éclair.

Une « grande ligne », Paris-Lille ? Bof. À peine un RER mais à deux cents balles le trajet. On le rate ? Qu'importe, on prendra le suivant. Un jeune homme passe : « C'est où qu'il va à Paris ? C'est çui-là ? OK. » Il fonce. On reconnaît les habitués…

Et les autres. Un couple arrive. Lui, baraqué, rougeaud, pousse sa bedaine sous un T-shirt « le Coq sportif ». Pataude, elle traîne par la main deux enfants un peu bouffis. Tous les quatre portent des baskets usées. S'avancent. Entourent la composteuse et valident lentement leurs billets. Les hommes pressés attendent un instant derrière eux puis, excédés, filent vers la machine la plus proche en roulant de gros yeux. La petite famille s'avance vers le TGV. « C'est bien le train pour Paris ? », demande le père à l'hôtesse debout sous un panneau « Paris-Nord, 09 h 01 ». Ils s'arrêtent devant le premier wagon, vérifient une fois encore la concordance entre leurs billets et les écrans placés près des portes. Et montent enfin.

Trente, quarante habitués, pendant ce temps, ont jeté un œil rapide sur l'écran en tête de quai, avant de s'engouffrer dans la rame. Des gens courent vers la première porte, courent vers Paris. Un homme attend son billet, se tortille devant le distributeur « départ immédiat » — les machines pour gens pressés sont rouges, un rouge d'urgence, un rouge de pompiers. Le chef de train attend, lui aussi, l'arrivée du billet pour donner le départ. Et sa compréhension, petit à petit, cède le pas à l'angoisse du retard. À bord du TGV, les oiseaux piaffent d'impatience derrière leurs cravates.

 


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
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