En marge de la gare, un homme tue le temps dans la tristesse de Lille-Flandres.

Par Catherine Petillon – Photo : Mélanie Lemaire

 

 


[Real audio]

Extraits sonores

 

 

 

« Mon nom c'est Lancelin, et mon prénom c'est Marceau. J'ai 54 ans. Je suis en train de lire. C'est un endroit tranquille. Chuis toujours à la gare. Pourquoi la gare ? J'ai rien à faire, donc… J'pourrais pas vous expliquer. J'suis un peu plus ou moins qu'un "marginaux" aussi. J'ai quand même ma chambre mais disons… j'épuise mon temps à droite, à gauche. Quand c'est l'heure d'aller manger, j'vais manger. J'm'ennuie.

J'essaye de passer des moments un peu… La vie elle est tellement un peu compliquée. J'essaye de m'occuper. J'essaye de sortir du monde, parce que j'aime pas le monde. J'aime plus le monde. C'est pour ça que je me mets ici.

Je vais aller à Carrefour, y'a que des chiants. J'essaye de me retirer un peu du monde. De ce quai, j'ai le temps de voir arriver un connard ou n'importe. On est toujours sur le pied de guerre. On vit dans un monde malade. Ça m'arrive souvent de me faire insulter : nique ta mère, nique ceci, nique cela. J'en ai ras-le-bol. On refuse une cigarette, tout de suite c'est des menaces, des couteaux, ceci-cela. Ça me ferait chier un peu, à 54 ans, de me faire tuer.

Habituellement, j'suis toujours à l'autre gare là-bas, à Lille-Europe. C'est la gare la plus tranquille, y'a moins de chiants, ces p'tits cons, tous ces caves, là.

Je vis à l'hôtel, y'a vingt et un ans que j'suis dans le même hôtel. Faut quand même que je sorte. Je rentre le plus tard possible. Je travaille sur les marchés, mais que trois fois par semaine. On peut pas toujours aller au café : faut toujours faire de la dépense ; on peut pas toujours se permettre d'être au café, c'est pas possible.
La gare ? C'est triste. Les gens sont tristes. Chais pas comment dire… Le monde est triste. »

 


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
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