Photos : Matthieu Crocq – Texte : Guillaume Perrier

 

 


Lille-Europe, une âme difficile à cerner

 

Sous la verrière de Lille-Flandres, on part, on arrive, on passe, on s'arrête aussi parfois. L'ancienne gare du Nord, déménagée de Paris à Lille en 1836 a parfois des allures de cathédrale. Sa lumière et les poutres d'acier qui la soutiennent en font un monument érigé à la gloire du rail.

Mais depuis 1996, date à laquelle la gare TGV de Lille-Europe lui a été adjointe, Lille-Flandres a pris quelques rides. Sa petite sœur est devenue le symbole d'une certaine « modernité  ». Probablement complémentaires, les deux gares lilloises s'opposent, telles de fausses jumelles.

Lorsqu'un train entre en gare de Lille-Flandres, terminus, il débouche au cœur même de la gare et de la ville. Car Lille-Flandres est posée en haut de la rue Faidherbe, qui mène directement à la Grand'place de Lille. Elle est une porte ouverte sur l'extérieur. À l'opposé, la gare souterraine de Lille-Europe est un lieu de passage. Excentrée, enterrée, la gare semble tout entière écrasée sous la semelle de la tour du Crédit Lyonnais. Qu'ils arrivent de Londres, de Bruxelles, de Paris ou d'ailleurs, les TGV qui observent deux minutes d'arrêt ou passent en trombe à travers le long couloir ferroviaire, ont contribué à faire de Lille ce carrefour européen tant vanté.

Ventée, Lille-Europe l'est assurément. La « gare des courants d'air ». Les trains passent, les voyageurs tracent, en coup de vent. Lille-Europe est devenue une station de métro sur le réseau européen. Les courants d'air n'y sont pas qu'une simple image. Le souffle « mitterrandien », qui traverse l'esplanade dédiée à l'ancien président de la République, s'engouffre dans la gare et s'y déchaîne.

Le niveau supérieur de Lille-Europe, balayé par le vent, n'inspire pas la chaleur qui sied à un accueil lillois. L'homme pressé y est chez lui. Par contre, pas de place ici pour les SDF et les « marginaux ». Epurée, ultra-sécurisée, la gare moderne se veut propre. Car c'est cette image qui sera diffusée à l'extérieur.


Au pied de la gare Lille-Europe, la place François-Mitterrand

Humanité contre modernité

Alors que l'architecture de Lille-Flandres est académique, le site de Lille-Europe se veut résolument moderne. Choc esthétique pour les uns, innovation avant-gardiste pour les autres, nul n'y est indifférent. Tout y inspire la vitesse. Le pont reliant en surface les deux gares, trait d'union entre deux rives, semble avoir été jeté à la va-vite. Juste en-dessous les jets d'eau saccadés de la place François-Mitterrand se livrent à un véritable ballet aquatique, prenant la forme des courbes aiguisées du pont, pour ensuite se dresser fièrement le long des voies.

Car l'arrivée sur la voie 45 de Lille-Europe permet au passager du train de se trouver au niveau exact du bassin. Un simple mur de verre les sépare. Le TGV, dans son fluide élan, semble glisser sur l'eau. Cette vitesse permanente tranche avec celle beaucoup plus ponctuelle de Lille-Flandres qui s'agite à chaque départ dans un concert de sifflets stridents.
 

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Deux gares

 

 

La gare des courants d'air vit à un rythme effréné mais régulier. On ne fait qu'y passer, toujours vite. Son âme est difficile à cerner. Lille-Flandres l'épileptique vit de sursauts. Elle est plus humaine.

 


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
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