Photo : Matthieu Crocq Texte : Benjamin Douriez |
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On les dirait clonés. Des dizaines d'exemplaires du même individu. Dans la gare déserte, les passagers du train de nuit pour Mulhouse se ressemblent tous. Une vingtaine d'années, cheveux courts, la tête des mauvais jours et un gros sac sur le dos. Souvent kaki, le sac. Le train de 22 h 28 rembarque ses bidasses vers les garnisons de l'Est. « Putain, j'suis vert de r'partir » Pas joyeux, la fin d'une permission. Yannick, Sébastien et Jocelyn se sont donné rendez-vous devant le kiosque à journaux fermé : à plusieurs, on repartira l'âme moins lourde. Quelqu'un à qui raconter le week-end avant de s'endormir. « C'était une longue perm' cette fois-ci. C'était une 96. » Comprenez 96 heures. Soit quatre jours hors de la caserne. Merci les jours fériés. « La prochaine, ça sera une 72. Parfois, on est deux ou trois semaines sans rentrer. » Sur le quai n° 7, dernières étreintes à une petite amie. Derniers au revoir à une maman ou un petit frère. Jusqu'à la fermeture des portes. La routine Julien
repartirait presque avec le sourire : cette fois-ci, il emmène
sa guitare. « C'est pour ma prochaine perm'.
Dans trois jours. Je vais sur la Côte d'Azur. » Dans
le train, rien de particulier. « Tout le
monde dort après Valenciennes. Moi je m'endors à Hirson. » Soixante kilomètres plus loin. Lui est venu avec ses parents. La gorge serrée, seuls un ou deux mots parviennent à sortir. C'est dur, le départ ? « Bah on s'y fait » Non, décidément, on ne s'y fait pas Le père se tait. Compatit. La mère est à peine plus loquace. Porte-parole voilée d'une angoisse qui se lit entre les mots : « Ça ne fait que deux mois. Il est à Sarrebourg. » Les yeux sont presque humides derrière ses lunettes d'enfant sérieux. Et dans le train, on dort ? « On essaie » On essaie ? « Oui, faut pas rater l'arrêt » Sur le quai, ils attendent tous trois le départ du train en silence.
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