Chaque nuit, David et son chien Nanouk se font les gardiens du sommeil de Lille-Flandres

Photo : Ondine Millot – Texte : Sarah Fréquelin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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À l'aube : l'ouverture des grilles

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David ferme Lille-Flandres

 

« Ça m'a juste donné le dégoût. » David, 24 ans, résume en une phrase ses quatorze mois passés à assurer la sécurité de la gare Lille-Flandres, de 22 h 30 à 5 h 30.

Surveillance de nuit. Tourner en rond dans la gare, attendre, dénicher les individus indésirables. Seul. Ou presque. « Heureusement, j'ai mon chien. Au moins on est deux. Et puis je le fais travailler. Il n'est pas encore bien dressé. » Nanouk a deux ans. Un superbe berger allemand que son maître regarde avec fierté et pour lequel il a cassé sa tirelire. David a été embauché grâce à lui et à son expérience chez les maîtres-chiens pendant son service militaire.

Le dégoût, donc. « À cause de tout ce qu'on subit. Y a rien qui me plaît dans ce travail. Les SDF, c'est mortel à virer. Des fois, il faut mettre des gants. Ça fait mal de faire ça. Moi j'ai un gros cœur. » Souvent, David doit ruser : « Il faut les endormir, genre je leur propose d'aller faire un tour pour fumer une cigarette. Il faut 80 % de psychologie et 20 % de violence pour faire ça. » Mais surtout, ne pas être trop gentil, « sinon, tu te fais avoir. » L'hiver, David laisse quand même ceux qu'il connaît bien dormir dans la salle d'attente.

Les nuits sont sordides, mais guère agitées. « Je n'ai jamais eu de gros pépins. Il y a parfois des bagarres au couteau, des gens qui mettent le feu dans un train. Mais sinon, il ne se passe rien. » Et de toute façon, même pour les gros problèmes, la police ne vient pas à tous les coups. « L'ambiance de travail n'est pas terrible. Le chef de gare et son équipe restent dans le poste 1. Ils appellent les flics mais viennent rarement voir ce qui se passe. Heureusement que j'ai le chien, sinon je serais déjà à l'hôpital. »

Le poste 1 : un bâtiment en brique tout au bout du quai. Les collègues : « Il faut être fier dès le début, sinon on se fait écraser. » David s'impose. Petit, fluet, il marche la tête haute en imprimant sur ses traits fins un air sévère. « Je mets un bombers pour avoir l'air plus "gonflé". La société qui m'embauche fournit une combinaison normalement. Il faut montrer qu'on est du côté de la loi. »

David habite chez sa mère avec sa petite amie. « Elles ont peur qu'il m'arrive quelque chose. Tous les soirs je préviens ma mère au cas où mes horaires changent un peu pour pas qu'elle s'inquiète. De toute façon, je vais arrêter. J'ai voulu voir comment ça marchait, la sécurité. Maintenant, j'pourrais plus continuer. »

Dans dix mois, à la fin de son contrat, il ira travailler chez un maréchal-ferrant. Il est aussi amoureux des chevaux. « En fait, je veux une vie tranquille, avec une femme et des enfants. »

À minuit et demie, après avoir fermé les seize portes et grilles de la gare, David va chercher Nanouk. Le chien saute et aboie dans son box. Le maître ouvre la porte, souffle quelques mots. Il sourit et ses yeux verts s'illuminent. Nanouk se tait et le suit comme son ombre.

 


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
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