Photos : Matthieu Crocq et Aymeric Scuvie – Texte : Matthieu Crocq

 

 


Un train belge en gare de Lille

 

 

 


Sur le pavé du Nord

 

 

 

 

 

Hier soir, le club de football de Lens a perdu. Ce matin, un agent SNCF en uniforme porte sur sa cravate deux rubans « sang et or », tatoués d'un ballon. Un homme passe, jette un coup d'œil dans une poubelle. La gare, ce sont les gens.

Un train belge, tatoué du « B » royal, arrive. De face, on dirait un masque de plongée jaune et noir, et un immense attrape-mouches : celles qui ne restent pas collées à la vitre s'entassent par centaines sur le rebord de caoutchouc. La police de l'air et des frontières est là, toujours à l'affût dès que l'on vient du Nord-Est et de ces ports où « y'a des marins qui naissent, dans la chaleur épaisse des langueurs océanes ». Ça les inquiète ? « On n'est pas là à chaque fois, on vient un peu au hasard. Mais les douaniers en civil sont dans chaque train en provenance de Belgique. Parce qu'il y a des gens qui viennent d'Amsterdam, en passant par Liège ou autres. » C'était donc ça.

Ils n'ont rien

Plantée devant le panneau d'affichage, une meuf genre zoulette pousse de grands cris : « Mais c'est où la voie zéro ? Ils sont teubé, eux ! » Une locomotive se sépare lentement d'un Corail, avance de deux mètres, s'immobilise, abaisse son pantographe dans un crépitement d'étincelles.

Un TER s'approche. Ses flancs de tôle ondulée, grise et sale, sortent du brouillard et viennent glisser lentement contre le quai. Ses portes sont ouvertes et les premiers passagers n'attendent pas pour sauter du train en marche. Le train, pourtant, arrivera avant eux en bout de quai. Des wagons embués sort un flot de travailleurs ensommeillés. Wasquehal-Lille : un TER du Nord déverse ses gens du Nord sur le pavé du Nord.

Une vieille locomotive diesel crache ses poumons sous la verrière, obscurcit le soleil qui perce un peu les nuages. Une fille court après son train, sans le vouloir après un pigeon aussi.

Venir à Lille, pour certains, c'est une aventure. Ils n'ont rien. Ni le sou pour se fringuer, ni le sou pour le coiffeur, ni même celui qui permettrait de chercher du boulot. Béthune-Lille est pour eux un voyage, pas un « trajet » comme le Paris-Lille des oiseaux à cravate.

 


– © Hors Les Murs – Mai 2000 –
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